lundi 20 juin 2011

PATER : croire et (pou)voir


Alain Cavalier est Président de la République. Il nomme Vincent Lindon comme Premier Ministre.

Alors réel et fiction se mêlent et se démêlent comme les fils d’un ouvrage tissé complexe et habile. Un jeu de miroir, de mise en abîme s’installent et se désinstallent dans ce drôle de film (petit ovni comme on les aime), qui parle peut-être plus de cinéma que de politique.

Enfin, le cinéma c’est (toujours) politique non ?

« Les travellings sont affaire de morale » disait Godard. Cette idée semble traverser l’esprit de Cavalier souvent.

Le cinéaste tente d'établir avec son film une véritable ligne politique, comme un manifeste de cinéma. Ainsi, il place son acteur sur un pied d’égalité parfaite dans la construction de cette mise en scène, qu’ils ont l’air d’inventer à deux au fil des prises ou des répétitions. Vincent est choisi par Alain, face à lui ou côte à côte.

Alors cette utopie traverse le film. La politique d’Alain Cavalier qui s’incarne dans Pater donne la place à l’acteur de réaliser, au réalisateur de faire l’acteur dans une totale fraternité, mais aussi dans une transparence troublante. Fabriquer ce film à deux, ensemble comme des artisans et devant tout le monde est une façon de se rendre plus fort aussi. Car cette mise à nu du dispositif de cinéma autant que le processus artisanal du film permet une maîtrise totale. En tout cas assez pour en jouer.

Alors, nous voyons le décor, l’envers du décor et ah en fait ce n’est pas un décor. C’est l’appartement d’Alain Cavalier. Le faux se mêle au vrai avec une aisance déroutante.

Les caméras semblent tourner toujours d’une main à l’autre, comme on se renvoie la balle au ping pong. Assis face à face à une table, on découvre le réalisateur et son acteur se passer la caméra de main à main pour faire le champ contre champ de leurs propres discussions imaginaires d’hommes de pouvoir. Et le pouvoir oui, ils l’ont bien, maintenant que le film déroule sa fantaisie face à nos têtes surprises et ravies de tant d’inventions.

Cavalier est monté sur ses grands chevaux dans son Pater plein de malice et de joies.

On y parle beaucoup, constamment, par flots ou par vagues. De cuisine d’abord, on mange car c’est ce que font les hommes politiques. Il faut tout imiter, alors on s’habille bien mais pas trop, on parle cravate, chemise, car c’est ce que font les hommes politiques. On parle élections, stratégie, passation de pouvoirs, car c’est ce que font les hommes politiques. C’est tout ce qu’ils font les hommes politiques ?

Pourtant il avait une idée le Président et une fameuse, proche du peuple : réduire les écarts de salaire entre le plus bas et le plus élevé de 1 à 15.

Mais les idées ne passent pas. Surtout pas les bonnes, celles pour le peuple ; il se méfie le peuple, il n’aime pas ça le mensonge. On lui a déjà menti bien assez. Alors les belles idées, c'est finit. En politique plus le discours atteint les états primitifs de l’homme, mieux ça vaut. Je ne parle pas seulement du type au comptoir alcoolique et passablement désespérant. Je parle de nous tous, en fait.

Aussi, il y a une scène où l’un des conseillers apporte au Premier ministre une photo, preuve apparemment compromettante pour un adversaire de Vincent Lindon aux élections. Cette séquence résonne forcément dans les esprits avec l’affaire DSK, Tron et toutes ces affaires de mœurs qui parsèment toujours le champ de la politique française. Comme si soudain, la scène politique portait aussi bien son nom que celle d’un grand théâtre.

A un moment, Vincent Lindon parle si sérieusement qu’on croit être dans le réel : « Pendant un moment j’ai pensé 100 % aux mecs des banlieues, à des solutions. Mais pourquoi ils m’appellent pas le gouvernement, en vrai ? ! »… « J’ai l’impression que… que je peux vraiment être premier ministre. », là maintenant. C’est juste savoir trier les idées, porter une belle chemise, se raser le matin, faire le guignol. Mais surtout jouir du pouvoir. Rien de plus. Ben non. Rien de plus.


PATER d'Alain Cavalier - Bande Annonce - Cannes... par Vernoris

Lindon et Cavalier semblent s’amuser à se perdre eux-mêmes dans le jeu qu’ils ont instaurés (ils ne savent plus très bien quand). Se perdre et aimer ce vertige entre documentaire et fiction. Naviguer dans des eaux qui parfois leur échappent, il semblerait.

Le film est-il écrit de bout en bout ? Ce serait étonnant de la part d’un cinéaste qui semble depuis toujours parler à une caméra- amie (improvisant une voix off intimiste), non pas derrière elle, mais bien à elle comme à son oreille alors même qu’il filme. Ce sont les voix off de Cavalier, en direct ; son journal filmé. Que ces voix soient en réalité écrites ou non n’a que peu d’importance.

Le pouvoir, c’est aussi celui que peut avoir un film sur le spectateur. Croire ou ne pas croire, telle est la question.

Car le pouvoir du cinéma, comme celui de la politique, c’est bien la capacité de faire croire.

A la fin, le fils Vincent Lindon tue le père Alain Cavalier, tout comme le cinéaste de 80 ans semble vouloir tuer un certain cinéma paternaliste, classique et puissant. Armé de son film bulldozer, son film révolution (tourné en un an avec une caméra à 3000 Euros), Cavalier est entièrement tendu vers l’avenir.


vendredi 14 janvier 2011

Scopique Nan Goldin


Psyché a regardé Eros dans les yeux.
Il (ou elle ?) était pourtant invisible.
Narcisse et lui-même s’aimait d’amour tendre.
Une pierre dans un reflet et ce fût la rupture.
Tirésias a vu. Il en est devenu aveugle.
Ne pouvait-on les laisser en paix ?
Nous aimons bien trop voir, sans doute qu’il y a un trou dans le regard.

samedi 8 janvier 2011

Déserts (extrait 3)


Ils se sont guettés dans le train, ont cherché leurs visages parmi d’autres. Chacun d’eux était forcément dans le Hamburg-Wittenberge. Mais ils ne se sont reconnus qu’une fois sur le quai : les deux seuls debout là, en pleine nuit. Il a proposé de porter son sac, elle a haussé les épaules.
- Ce n’est pas vraiment lourd.
Ils savent qu’ici, depuis 89 et sans trêve à partir de cette date, les gens partent peu à peu, vident les immeubles les uns après les autres. On ne se charge plus que de mettre une croix sur les portes condamnées. En dix ans, la moitié de la population s’en est allée. Le mur n’a cessé de chuter, encore et encore.
À Wittenberge, on ne sait plus trop quoi faire du temps. Les gens continuent de raconter son histoire immuable.

samedi 1 janvier 2011

Les Grandes baigneuses, Paul Cézanne (1905)





Elles ne se baignent pas mais elles sont bleues.





°

vendredi 10 décembre 2010

Hillside in Provence 1886-90 / London 2010


De près on dirait qu’il a peint en pleurant.


il peint une émotion, le paysage est juste un prétexte. Le mouvement me soulève le cœur. C’est dans les arbres mais c’est aussi dans la pierre, comme s’il y avait du vent dans la pierre. Ca vient de la pierre et ça va jusque dans les arbres, ça les ébranle.


On ne voit pas la colline, ni la roche ni vraiment les arbres en premier.


En premier on voit le mouvement. Et même après le mouvement du pinceau, du vent, de la sensation même après on ne voit pas encore la colline. Parce que les arbres derrière débordent sur le paysage du fond avec l’église. Parce que la perspective est débordée. La colline au fond à droite ressemble à des coups de pinceaux. Les roches devant aux corps des baigneuses bleues et les arbres au ciel tourmenté.


Mais qui est Cézanne pour montrer à la fois tant et si peu ? en fait comme frère de van Gogh mais avec la tentative de communiquer sa tristesse.


There’s a big day coming

vendredi 12 novembre 2010

Déserts (extrait 2)


Contrairement à la maison de Caiscais, cela reste un lieu sans habitudes.

Pour accroître encore cette sensation, elle va rouler chaque dimanche à l’extérieur de la ville. Elle s’éloigne de l’Est. Elle avance avec son vélo au milieu des collines artificielles créées au moment où Berlin était, véritablement, un désert.
Ce jour-là, elle est dans la forêt de Grunewald. Dans ce parc étrange, gigantesque, où se profile à l’horizon, juchée en haut de Teufelsberg, une tour blanche, surmonté d’un dôme. De loin, on pourrait penser que la toile de celui-ci s’est déchirée à plusieurs endroits. On dit que c’était un poste d’observation, espion et tout le flonflon. Sous la colline, il y a 400 000 bâtiments.
12 millions de mètres carré de gravats.

dimanche 7 novembre 2010

Déserts (extrait 1)


D’autres personnes viennent parfois peupler l’appartement, ils restent quelques jours, des matelas dans le couloir, un surplus de provisions dans le réfrigérateur, puis repartent.
C’est comme si l’espace habitable pouvait s’étendre à l’infini, se transformer, grossir comme un ventre puis soudain se vider. Elle parvient quelquefois à marcher dans les pièces et à seulement entendre ses propres pieds sur le plancher. Cela va de même à l’extérieur.
À Berlin, le « nous » devient très vite un « je », à un coin de rue. Pour revenir à la communauté à un autre.

mardi 2 novembre 2010

Allons nous baigner I


Allons nous baigner dans ce lac inconnu de tous. Car il faut un jour goûter ce qui t’échappe à toi et aussi ce qui ne nous ennuiera plus jamais. Plus jamais je te promets. C’est pas qu’on s’emmerde, c’est plutôt qu’on se fait chier. C’est plutôt qu’on sait jamais où on est.